Alors que la Super Nintendo s’est imposée sur le marché comme la console dominante, les joueurs de RPG ont su trouver sur cette plateforme des expériences envoûtantes telles Chrono Trigger ou Final Fantasy VI pour ne citer que celles-ci. Pourtant, en 1995, un titre sort en Amérique du Nord dans une relative indifférence et subit un cuisant échec commercial. Le deuxième volet de la saga Mother bouleversera pourtant des milliers de joueurs, et reste encore aujourd’hui considéré comme un RPG d’exception. Quelles sont les raisons d’une telle considération ? Pourquoi EarthBound a-t-il tant marqué les joueurs de tous horizons ? Réponse dans ce test.
Giygas, ou comment créer le boss final à l’aspect le plus dérangeant possible
Les graphismes, il faut bien l’avouer, sont en-deçà de certains jeux plus anciens sortis sur la machine. Les sprites sont assez grossiers et l’on est bien loin du niveau de détail d’un Final Fantasy VI par exemple. Cependant, l’aspect un peu enfantin du jeu, des personnages et des décors correspond très bien à l’ambiance rocambolesque du soft, sur laquelle nous nous attarderons plus tard.
En effet, cet aspect enfantin donne une touche tout à fait unique au jeu, permettant de se sentir impliqué dans une aventure assez irréelle mais dans le même temps très contemporaine, grâce à la présence de villes très fortement influencées des métropoles américaines. Ainsi, l’immersion est poussée au maximum dans la mégapole de Fourside grouillante de vie et d’activité, le petit village paisible d’Onett où les habitants vivent heureux, ou encore le pays de Winters, plaine enneigée à l’ambiance très reposante.
Les ennemis comptent parmi les points forts du jeu, puisqu’ils sont parmi les plus inventifs jamais vus dans un jeu vidéo. Oubliez les trolls, les dragons et autres gobelins coutumiers des jeux de rôle : à la place, vous serez amené à combattre des hippies, des skateurs fous ou encore des fourmis mutantes, sur des fonds colorés totalement psychédéliques ! L’ambiance graphique générale est donc complètement décalée, voire absurde : et comme vous le comprendrez à la lecture de cet article, ce n’est que la partie émergée de l’iceberg !
Tuer le boss final en priant. La classe.
Ceux qui auront déjà goûté au premier épisode de Mother paru sur NES ne seront pas réellement dépaysés. Ainsi, EarthBound est un RPG se jouant au tour par tour, avec des phases de combat à la première personne rappelant Dragon Quest, des phases d’exploration, des équipements, des objets, des magies, la possibilité de se défendre ou de fuir en combat… En combat, il est à noter que l’on peut activer une « Auto Fight » afin de ne combattre qu’avec des attaques normales sans toucher à la manette, ce qui sera prisé des joueurs pressés. On notera également plusieurs changements par rapport au premier opus.
En premier lieu, il est possible de voir les ennemis sur la carte, contrairement au premier Mother dans lequel les rencontres étaient aléatoires. Les ennemis ont un comportement propre, puisque les ennemis forts vous fonceront dessus alors que les ennemis faibles vous fuiront lâchement. Une stratégie peut ainsi être développée : en effet, en surprenant un ennemi par derrière, il sera possible de le frapper plus fortement. A l’inverse, si l’ennemi vous surprend, il bénéficiera d’un tour gratuit pour vous frapper et vous fera plus mal. Enfin, les ennemis trop faibles sont directement battus sans même passer par l’écran de combat, mais vous récupérerez tout de même l’expérience et l’argent. Cela constitue une astuce ingénieuse des développeurs pour ne pas trop hacher le rythme de la progression.
La difficulté légendaire du premier épisode ayant été décriée, elle a été revue à la baisse dans EarthBound. Le jeu reste cependant assez corsé, avec certains boss qui risquent de vous faire transpirer. Un peu de level-up sera certainement nécessaire, mais l’ensemble reste fluide et s’enchaîne sans véritable temps mort. On notera que lors d’un Game Over, il vous est possible de reprendre depuis le dernier point de sauvegarde en conservant votre expérience et vos objets ; simplement, votre capital financier sera divisé par deux.
En ce qui concerne les combats, remarquez que lorsque vous subissez un coup, votre vie n’est pas instantanément retirée. En effet, vos points de vie sont drainés petit à petit, ce qui est affiché par une roulette. Ainsi, un coup fatal peut être évité si vous utilisez un sort curatif avant de perdre tous vos PV. Cette innovation ajoute du dynamisme au gameplay et met souvent le joueur dans une situation d’urgence, faisant monter l’adrénaline.
Le jeu propose donc d’incarner quatre personnages, chacun avec leurs spécificités de gameplay : Ness, Paula, Jeff, et Poo. Ness est un personnage équilibré frappant assez fort et possédant des magies offensives comme défensives. Paula est l’infirmière du groupe, et ses magies curatives vous seront à de nombreuses reprises bien pratiques. Jeff est le seul à ne pas maîtriser la magie, mais il compense cela par l’emploi d’objets offensifs relativement puissants. Enfin, Poo est un attaquant pur, maniant des magies offensives redoutables mais présentant une faible défense.
Mais ce qui frappe instantanément dans EarthBound, c’est le gameplay complètement décalé et la transposition des éléments classiques du RPG dans un monde proche de l’Amérique des années 1970. Ainsi, point d’épées ou d’arcs enchantés : nos héros défendent le monde armés de parapluies et de battes de base-ball ! De même, les objets curatifs ne sont point des potions, mais plutôt de la nourriture plus ou moins copieuse achetable dans le centre commercial local. Si comme dans tout RPG, l’on se repose à l’hôtel, il est souvent possible de sélectionner le standing de sa chambre, pour des prix évidemment très variables. Le joueur doit sauvegarder sa progression en appelant le père de Ness ; si le téléphone est public, cela coûtera un dollar ! Enfin, l’argent n’est pas récupéré après les combats, mais il est transféré sur le compte en banque de Ness qui peut retirer la somme de son choix via des distributeurs automatiques ! Vous aurez ainsi compris, à la lumière de ces quelques exemples, le profond humour que l’on peut discerner dans les mécaniques de gameplay adoptées par EarthBound.
On regrettera toutefois un inventaire bien trop petit, qui oblige le joueur à renouveler souvent son stock ou bien à téléphoner à la grande sœur de Ness pour envoyer certains objets en réserve.
Eight melodies, no sidequests
Pour un jeu de rôle, EarthBound présente une durée de vie réellement élevée. L’aventure principale est en effet très longue et a le mérite de ne jamais baisser en intensité, poussant constamment le joueur à poursuivre sa partie pour découvrir la suite des aventures de Ness et de sa troupe. Comptez ainsi trente-cinq à quarante heures pour voir le bout de l’aventure, les quelques séances épisodiques de level-up étant incluses dans ce compte.
Il est par ailleurs regrettable de constater que, comme tous les jeux de la série Mother, ce deuxième épisode ne propose absolument aucune quête annexe susceptible de prolonger votre périple.
Un bonhomme de neige vous fera pleurer
La bande-son du titre est, comme cela fut systématiquement le cas pour la saga Mother, excellente. Composée de plus de cent vingt pistes, l’OST comporte des musiques adaptées à chaque situation. Poignantes, épiques, angoissantes, reposantes, endiablées, les différentes musiques du jeu sauront vous laisser une impression mémorable. Ne citons que « Snowman » ou « Runaway Five Theme » pour vous convaincre de la grande qualité musicale du jeu ; ce n’est là qu’une goutte d’eau dans l’océan de plaisir auditif que vous procurera EarthBound.
Il est d’ailleurs nécessaire de saluer la performance des compositeurs, qui ont su contourner les limitations techniques afin de proposer une bande-son qui compte sans nul doute parmi les meilleures de la console. La musique est également chargée d’influences culturelles, puisqu’il est possible de constater que certains morceaux sont directement inspirés de l’œuvre des Beatles.
My name… is Buzz Buzz…
Ness est un jeune garçon vivant paisiblement dans la petite bourgade d’Onett. Une nuit, il est réveillé par un violent bruit dont l’origine se situe sur une colline proche. Avec son voisin Pokey Minch, Ness se rend à la colline. Il y découvre une météorite ; des restes calcinés du rocher, sort une abeille mécanique qui se présente sous le nom de Buzz Buzz. Elle annonce à Ness qu’elle vient de dix ans dans le futur, où Giygas, le destructeur universel, règne sur un univers devenu apocalyptique. Seuls quatre enfants sont en mesure de stopper Giygas ; et l’un de ces enfants, c’est Ness…
De ce postulat extrêmement classique (le jeune héros élu devant sauver le monde), EarthBound sombre rapidement dans une absurdité et une douce folie qui provoque en permanence l’hilarité. Durant sa quête, Ness et ses amis rencontreront une multitude de personnages plus invraisemblables et saugrenus les uns que les autres (l’escouade policière d’Onett ou le groupe des Runaway Five, sorte de pastiche des Blues Brothers, sont de bons exemples) et devront faire face à une multitude de situations outrageusement cocasses. Par exemple, dans la ville de Moonside, dire « Oui » signifie « Non » et vice-versa, ce qui donne lieu à des imbroglios drôles au possible.
Le jeu se veut également une représentation de l’Amérique par Shigesato Itoi, le créateur de la saga ; et le moins que l’on puisse dire, c’est que l’Oncle Sam n’est pas épargné ! En effet, si le jeu se déroule dans un cadre qui rappelle l’Amérique profonde de la seconde moitié du XXème siècle, il n’est pas avare en remises en question de la société des Etats-Unis, avec notamment une critique virulente de la tradition religieuse américaine au moyen de la secte des Happy Happyist qui veulent tout repeindre en bleu. Le jeu, sous ses dehors de gigantesque plaisanterie, offre donc un second niveau de lecture plus recherché que les plus réfléchis aimeront à découvrir.
Dans l’ensemble, la narration est reléguée au second plan et n’évolue que peu durant l’aventure, avec quasiment aucun moment réellement tragique ; le soft laisse à tout moment l’humour et le non-sens prévaloir. Il est également intéressant de constater qu’EarthBound se revendique presque comme un mauvais film de science-fiction, accumulant sans peine les clichés des séries de l’époque qui mettaient en scène des envahisseurs extraterrestres. L’usine secrète des extraterrestres, la population joyeusement ignorante, tous ces lieux communs du cinéma de science-fiction sont ici usés jusqu’à la corde, mais le tout est réalisé avec une telle finesse et un tel humour que l’on ne s’en rend même pas compte.
C’est l’heure de rendre les copies !
Graphismes : Si les visuels poussent moins loin la Super Nintendo que ne l’aura fait d’autres grands jeux tels que Final Fantasy VI, l’aspect simpliste et enfantin couplé à un univers contemporain donne un cachet particulier au titre. Les différents lieux ont une identité propre et réussissent sans peine à immerger le joueur. Le design des ennemis, quant à lui, compte parmi les plus étonnants et inattendus que l’on puisse imaginer.
Jouabilité : Malgré une difficulté relevée qui contraindra le joueur à un léger level-up et un inventaire bien trop petit, EarthBound propose un gameplay de qualité, dans la tradition des grands jeux de rôle de la NES (Dragon Quest en tête), agrémenté d’innovations bienvenues. De plus, la transposition des éléments du gameplay dans un univers moderne est tout bonnement délectable et crée un décalage plein d’humour dont ne peut que se réjouir le joueur.
Durée de vie : Comptez presque quarante heures pour venir à bout de ce deuxième opus de la série Mother. Les séances de levelling ne sont heureusement pas trop longues et ne lassent ainsi pas le joueur. On regrettera l’absence pure et simple de quêtes annexes.
Bande-son : Contenant plus de cent vingt pistes, l’OST d’EarthBound est un véritable tour de force qui repousse les limitations de la machine pour proposer au joueur une bande-son diversifiée, envoûtante, mémorable et accompagnant à merveille chaque situation. Mention spéciale au thème du boss final, qui reste l’un des morceaux les plus dérangeants de toute l’histoire du jeu vidéo.
Scénario : Si l’intrigue globale est très peu étoffée, la douce absurdité qui émane du titre est tout bonnement inénarrable. Oscillant constamment entre navet science-fictionnel et parodie de l’Amérique profonde (avec quelques critiques directement dirigées contre les USA), le jeu se révèle hilarant de bout en bout et multiplie les situations ou personnages improbables. EarthBound est en définitive l’un des jeux les plus drôles de l’histoire.
Conclusion : EarthBound fut un échec commercial retentissant à sa sortie, et pourtant, ce deuxième opus de la série Mother avait tout d’un grand jeu. Au-delà d’une aventure longue et corsée ou d’une bande-son sublime, personne ne peut oublier son ambiance humoristique complètement renversante. Aucun autre jeu ne possède une telle atmosphère, savant mélange de science-fiction et d’humour décalé avec une touche de folie furieuse. Laissez-vous séduire, riez de bon cœur, et laissez à EarthBound le soin vous emporter dans son univers à nul autre pareil.