Hier j’ai fini The Last of Us (PS3), dernière production en date de Naughty Dog. Epreuve difficile que de passer après la trilogie Uncharted sur la même console, le studio américain a pourtant pris le risque de faire quasi-table rase du passé pour s’aventurer sur une nouvelle licence, fort de son expérience dans le jeu vidéo depuis son vrai premier succès commercial – Crash Bandicoot – en 1996. Si certains ont pu s’étonner à l’annonce du développement d’un tel jeu peu de temps après la sortie d’Uncharted 3 : L’Illusion de Drake – lequel confirmait le succès mondial de son prédécesseur auprès d’un public toujours plus avide d’action trépidante – d’autres n’ont pu que se réjouir d’une telle nouvelle, y voyant là une preuve irréfutable que Naughty Dog n’aime pas rester ronronner et veut surprendre son monde en s’attaquant au survival-horror, genre à la fanbase forte et exigeante mais restreinte comparée – par exemple – à celle autrement plus populaire du jeu d’action-aventure dont Uncharted en est le parangon new/current-gen. Les attentes à la sortie de The Last of Us étaient énormes, du coup peut-on se demander légitimement si le pari est réussi ou pas…
Je dois avouer connaître fort peu le survival-horror pour en faire l’éloge ou en énumérer les mécaniques, mais son concept initial – avant de susciter la peur entre autres émotions fortes – est finalement très basique : survivre ! Et c’est bien de cela qu’il s’agit dans The Last of Us, non pas juste en s’échappant d’une bâtisse peuplée de zombies ou d’une ville pleine de monstres pour ensuite reprendre le tranquille cours de leur vie pour les personnages, mais en luttant pour leur survie quotidiennement sans réel espoir de jours meilleurs. En effet, le jeu a pour contexte notre monde défiguré des suites d’une pandémie transformant les hommes en monstres (enfin le jeu se déroule « seulement » aux Etats-Unis, d’ailleurs le dernier mot du titre peut éventuellement se lire comme le US de United States).
L’action se passe vingt ans après le début de l’infection dans un monde en ruines où la nature – aussi belle que cruelle – y a repris ses droits, et dans lequel les humains ayant fait voler en éclat la civilisation telle qu’on la connaît sont autant proies que prédateurs. On se focalise sur le personnage de Joel, marqué par la vie à jamais, qui va partir malgré lui dans une sorte de long road-movie à travers les vestiges des Etats-Unis aux côtés d’une adolescente appelé Ellie. Le chemin ne sera clairement pas facile, les situations aussi diverses que dangereuses, les réactions aussi radicales qu’instinctives, et les rencontres aussi diverses qu’intenses ; en somme l’expérience ne les laissera pas indemnes, et le joueur non plus.
Si on peut voir là l’inspiration d’autres œuvres récentes comme par exemple les films Je suis une Légende (Francis Lawrence, 2007) ou La Route (John Hillcoat, 2009) – les mondes post-apocalyptiques étant à la mode ces dernières années – le propos de The Last of Us diffère à mon sens dès son prologue intimiste et coup de poing pour nous renvoyer à notre propre humanité tout au long du jeu ; aussi on s’interrogera jusqu’à la fin du titre sur ce qui fait un homme et sa frontière parfois ténue avec l’animal, sur ce qui le rattache à la vie ou à la survie, sur le but ou la vacuité de son existence, sur ce qu’une telle situation peut faire ressortir chez lui – le pire comme le meilleur, l’égoïsme pur comme le don de soi – sans jamais tomber dans un manichéisme facile ni directement laisser juger le joueur sur sa condition ; on passera par tous les sentiments au fil des situations rencontrées, le jeu ne faisant au bout du compte que le portrait réaliste – et tellement humain ! – de quelques rares personnages sans mettre particulièrement en avant leurs qualités ou leurs défauts, mais en tentant de dépeindre leurs choix, leurs failles, leurs contradictions, bref leur humanité…
A ce titre, la direction artistique est exemplaire ; si les graphismes relèvent encore une fois du tour de force pour Naughty Dog qui arrive encore à nous émerveiller (les environnements sont juste sublimes), c’est la motion capture à la fois impressionnante et subtile qui sous-tend réellement le propos du jeu, sans parler du jeu d’acteurs (en VO) qui est incroyable de justesse, ou de la musique peu présente qui sert l’ambiance sans trop en faire ! Pourtant, ce n’est pas là non plus un sans-faute technique : l’IA peine régulièrement à rendre les phases d’infiltration crédibles, les personnages secondaires pouvant passer devant les ennemis comme si de rien était, ces derniers ne se focalisant sur eux et sur le joueur que si le personnage jouable est repéré… Mais une fois en combat les ennemis font preuve d’ingéniosité, surprenant souvent le joueur dans le dos et c’est bien là qu’il faut se montrer rapide dans ses choix !
Le gameplay à proprement parler est quant à lui classique (la prise en main se fait rapidement) mais a l’intelligence de varier avant de ne trop souffrir de répétitivité, les situations obligeant le joueur à (ré)adapter sa façon de jouer régulièrement. Dans The Last of Us, rien ne sert de foncer dans le tas (sinon à mourir rapidement et dans d’atroces souffrances), l’infiltration est de mise tout autant que la réflexion tactique, en visant à chaque altercation l’économie de munitions – celles-ci étant bien limitées. On passera alors le plus clair de son temps à (essayer de) tuer discrètement ou à éviter les hordes d’ennemis – les mortels « claqueurs » en tête – tout en cherchant des ressources aux quatre coins des zones visitées. En résulte un rythme de jeu globalement lent et réfléchi (ce n’est pas pour rien si je l’ai fini en 22h30 en ayant trouvé 101 objets ou artefacts sur 145) qui n’hésite pourtant pas être accéléré au gré des situations rencontrées, et qui reflète bien celui de la narration – le périple de Joel et Ellie s’étalant sur quatre saisons – qui elle aussi prend son temps pour montrer l’évolution des liens qui se tissent entre les personnages principaux. On est donc loin du jeu pop-corn sensationnel à 200km/h à la Uncharted ou – pour rester dans le même genre – à la Dead Space !
Côté difficulté, je pense que chacun y trouvera son compte pour un survival-horror (ou plutôt survival-action) ; d’un côté les checkpoints sont suffisamment nombreux pour permettre l’avancée dans le jeu sans être pénalisé par une/des mort(s) frustrante(s), et d’un autre on se plait à vouloir (et à pouvoir) varier les approches pour venir à bout des passages les plus difficiles. La capacité de pouvoir scanner l’environnement et la position des ennemis les plus proches grâce à l’ouïe de Joel s’inscrit elle aussi dans l’héritage de jeux récents comme Batman : Arkham Asylum mais est limitée par une jauge qui se régénère avec le temps, et peut également être proscrite du jeu pour les joueurs les plus hardcore par un simple paramétrage dans le menu des options. Par contre la barre de vie ne remonte pas avec le temps, elle ; aussi il faudra se soigner plus ou moins régulièrement suivant sa façon de jouer et des ressources à disposition. Et toujours pour rajouter à la notion de survie et d’évolution des personnages, le jeu offre la possibilité de crafting – bien en vogue depuis quelques années – permettant d’améliorer les armes ou les capacités de Joel ; mais dans ce dernier cas il faudra faire des choix cruciaux tant les ressources pour y parvenir sont rares et ne permettent en aucun cas de pouvoir améliorer l’arc complet de compétences en faisant le tour du jeu une première fois !
En conclusion, on pourra(it) dire et écrire encore beaucoup de choses sur The Last of Us, le jeu étant au moins généreux sur les émotions qu’il fait ressentir aux personnages et joueur (mais sans être vendu de la sorte contrairement à d’autres studios qui veulent en faire leur fond de commerce). Naughty Dog signe ici un jeu qu’on n’oubliera pas de sitôt, à la fois chant du cygne d’une génération de console qui n’a pas encore dit son dernier mot, et œuvre mature et majeure d’un genre sclérosé par des velléités à la fois populistes et underground. En somme, on a affaire ici à une expérience humaine sans nulle autre pareille à ce jour dans le jeu vidéo, un titre qui ne se veut pas meilleur que d’autres mais qui l’est assurément et tout simplement – sans déluges d’effets pyrotechniques, de surcharge émotionnelle, ou encore de ficelles scénaristiques à couper le souffle. Naughty Dog n’est plus un studio faiseur de blockbusters de grandes qualités à surveiller dans le haut du panier mais bien un acteur désormais à part dans le monde du jeu vidéo à mes yeux grâce à The Last of Us. Et si ça ce n’est pas porteur d’espoir pour l’avenir du médium !
Initialement posté sur le forum le 14/08/13
Merci pour ce test bien rédigé.
Coincidence : vous l’avez terminé hier soir, au même moment je le commençais…
L’argument-phare pour moi est que “l’infiltration est de mise tout autant que la réflexion tactique, en visant à chaque altercation l’économie de munitions – celles-ci étant bien limitées” ; une rareté parmi l’overdose de titres beat’em all / TPS bourrés de gunfights…