Depuis le deuxième opus, Sons of Liberty, Metal Gear Solid est considérée comme une série exceptionnelle ; trois ans plus tard, c’est donc avec impatience que les joueurs attendent de pouvoir vivre les nouvelles pérégrinations de Snake. Mais ce troisième volet propose contre toute attente un saut dans le passé en choisissant de narrer l’histoire de Big Boss, soldat de légende et père génétique de Snake ! Ce choix scénaristique a-t-il impacté la qualité du jeu ? Metal Gear Solid 3 poursuit-il la saga avec le même degré d’excellence ? Réponse dans ce test.
Mate-moi ces arbres !
Contrairement à ses deux aînés, Snake Eater prend place dans des décors bien plus naturels que les complexes militaro-industriels usuellement traversés. Ainsi, Big Boss (ou devrais-je dire Naked Snake) sera amené à traverser jungles, marais, forêts tropicales et autres zones boisées au cours de sa mission, en plus de quelques bâtiments tout de même. Le progrès graphique réalisé depuis Metal Gear Solid 2 est palpable ; les textures sont superbes et retranscrivent à la perfection l’environnement humide et hostile de ce troisième opus. L’identité graphique de ce troisième opus tranche donc radicalement avec les codes de la série, mais ce bouleversement est exécuté d’une main de maître.
Les personnages ont également subi une amélioration conséquente : leurs traits sont ainsi beaucoup plus fins, leurs expressions plus réalistes, à l’inverse d’un Sons of Liberty dans lequel les visages manquaient parfois cruellement de personnalité. On s’attardera également sur la mise en scène, encore plus cinématographique que dans les opus précédents. Hideo Kojima voulait à travers ce troisième volet adopter un univers plus proche des films d’espionnage qui l’avaient bercé enfant (les James Bond notamment) ; à cette fin, le créateur de la série n’hésite pas à multiplier les prises de vue dynamiques ainsi que les effets caractéristiques du cinéma (bullet time entre autres). L’ensemble se révèle très agréable pour la rétine et achève de nous immerger dans la mission de Naked Snake.
Toi aussi, crée tes défilés de mode et joue au Docteur Maboul avec Naked Snake !
La jouabilité de Snake Eater marque un changement de cap assez profond pour la série. Bien sûr, nous avons toujours affaire à un jeu d’infiltration et les codes instaurés dans les deux premiers opus répondent à l’appel : trois phases d’alerte, des armes en tous genres, des boss, une vue subjective utile pour tirer… Mais l’ensemble est agrémenté de plusieurs changements et innovations, pas forcément toujours très judicieux.
Le premier est la disparition pure et simple du radar. Le jeu se déroulant en 1964, ce choix a été justifié par la volonté d’apporter plus de réalisme au titre. Dans le fait, l’on s’aperçoit rapidement que l’ensemble est défectueux. En effet, la caméra en vue de dessus a été conservée dans la plupart des zones traversées ; ainsi, sans le radar, il devient parfois impossible de repérer des ennemis situés à plus de quelques mètres. De plus, le fait que ces ennemis arborent parfois des tenues de camouflage les rendant presque indétectables n’améliore en rien les choses… Le jeu propose certes une carte, mais celle-ci n’est consultable que via le menu et nécessite de visiter chaque zone pour en révéler la topographie…
Le deuxième est l’apparition des camouflages. En effet, notre agent secret pourra arborer différents camouflages permettant de se fondre dans les environnements traversés. Il est ainsi possible de sélectionner une peinture faciale et une tenue de camouflage parmi une gamme qui s’étoffe à mesure que l’on progresse dans le jeu. La qualité de votre camouflage est symbolisée par un pourcentage en haut à droite de l’écran, qui varie en fonction du terrain et de votre position. Ainsi, un camouflage de couleur sable sera loin d’être efficace en zone boisée, à fortiori si vous êtes debout ; à l’inverse, vous allonger parmi l’herbe haute avec un camouflage vert vous permettra de devenir quasiment indétectable.
Le troisième concerne la survie. En effet, fini le temps où engloutir une ration permettait de se régénérer miraculeusement ! Il vous faudra dans ce troisième opus chasser afin de sustenter Snake, qui pour l’occasion dispose désormais d’une jauge d’endurance. En effet, votre pitance (qui va du gavial au lapin de garenne en passant par le serpent ou les nouilles instantanées), ne restore pas votre vie (qui quant à elle remonte automatiquement au fil de la partie) mais votre endurance. Celle-ci décroît au cours du temps ; si elle est trop basse, Snake aura des difficultés à se déplacer, tremblera en visant, sera moins réactif en combat… Il est donc capital de maintenir celle-ci à un niveau élevé. Prenez garde toutefois ; les animaux capturés depuis trop longtemps pourrissent et les consommer vous obligerait à vous soigner !
En effet, en plus de la sustentation, il est également important de veiller à la bonne santé de Snake. Être touché par une balle, être piqué par un frelon ou mordu par un gavial, manger de la nourriture avariée ; autant de mésaventures qui vous obligeront à vous soigner via un menu. Les médicaments, bandages et autres fils de suture peuvent être trouvés sur place, au cours de votre mission. Il est cependant regrettable de constater que camouflages, carte, nourriture et médicaments ne soient utilisables que par le biais d’un menu, ce qui oblige le joueur à interrompre l’action de manière assez fréquente afin d’assurer sa survie. L’ensemble ne nuit bien sûr pas vraiment au plaisir de jeu mais peut se révéler assez agaçant, notamment vers la fin de l’aventure.
La quatrième et dernière innovation revêt le doux nom de CQC. Cet acronyme, signifiant « Close Quarters Combat » (combat rapproché) désigne une palette de mouvements dont dispose Snake pour se défaire de ses ennemis. En plus des coups de poing et de la strangulation classiques, il est ainsi possible de projeter un ennemi au sol pour lui faire perdre connaissance, de lui ôter son arme, ou encore de lui placer un couteau sous la gorge pour obtenir des informations. Cet ajout permet de diversifier le gameplay et d’éviter de se reposer uniquement sur les cartouches tranquillisantes pour une approche furtive.
Les armes sont relativement classiques : pistolet tranquillisant, colt, mitrailleuse lourde, fusil d’assaut, fusil à pompe, fusil sniper, grenades en tous genres, explosifs, sans oublier les magazines pornographiques emblématiques de la série… Les silencieux ne sont dans cette nouvelle mouture pas illimités, mais doivent être récoltés sur le champ de bataille et se détériorent au fur et à mesure de leur utilisation. Les boss sont quant à eux très inventifs et relèvent le niveau après un deuxième épisode assez décevant de ce point de vue. Les méthodes pour en venir à bout sont multiples et certaines sont incroyablement inspirées (on pensera surtout au combat contre The End). Que ce soient The Pain et son essaim d’abeilles tueuses, The Fury avec son arsenal pyrogène ou encore The End, sniper grabataire qui sait mettre la patience du joueur à rude épreuve, les boss sont tous mémorables et laissent une forte impression.
On soulignera également le fait qu’à certains moments, durant les cinématiques, le joueur soit invité à presser la touche R1 afin de voir l’action à travers les yeux de Snake. Cela est notamment l’occasion de constater que l’attirance pour les belles femmes est de famille…
Soixante-quatre batraciens
A l’image de ses prédécesseurs, Metal Gear Solid 3 est relativement court ; comptez une douzaine d’heures pour le finir. La proportion de cinématiques a été sensiblement réduite par rapport au deuxième volet et permet au joueur de se sentir plus impliqué que jamais dans les pérégrinations du serpent.
La rejouabilité est assez élevée : les joueurs désireux de collectionner un maximum d’armes et de camouflages devront ainsi vaincre tous les boss uniquement en vidant leur jauge d’endurance, explorer de fond en comble des zones plus labyrinthiques que par le passé, mais devront également débusquer des figurines représentant des grenouilles (des Kerotans) ou capturer des animaux très rares afin d’obtenir l’accès aux fameux items bonus emblématiques de la série…
Il est également à noter qu’après avoir terminé le jeu, un mode Boss Survival est disponible ainsi qu’un mode pour visionner l’ensemble des cinématiques. Des missions bonus, baptisées « Serpent contre Singe » sont également au programme et permettent à Snake de se lancer à la poursuite de singes farceurs. Si ces ajouts sont relativement anecdotiques, ils ont le mérite de prolonger l’expérience de façon novatrice.
T’as pas fini de tomber…
La bande-son de ce troisième opus constitue, du point de vue de nombreux joueurs, la meilleure OST de la saga. En effet, le jeu décide de s’écarter des ambiances feutrées du second opus et propose des thèmes aux relents de jazz très influencés par l’univers de James Bond (qui constitua, je le rappelle, une forte source d’inspiration pour le jeu) ainsi que de superbes thèmes chantés. L’introduction du jeu, portée par le thème aux accents épiques Snake Eater, constitue une entrée en matière grandiloquente et inoubliable. La chanson du générique de fin, Way to Fall, illustre à merveille la mélancolie ressentie par le joueur au terme de la mission. La bande-son de Metal Gear Solid 3 est donc très inspirée et sait charmer le joueur.
De même, les bruitages sont réussis. Le joueur ressent véritablement l’atmosphère hostile et sauvage qui l’entoure : pépiements d’oiseaux, clapotis de l’eau, bruissement des feuilles… Un effort tout particulier a été fourni pour mettre en place une ambiance sonore réaliste et immersive. Le doublage est quant à lui de très bonne qualité, poursuivant la bonne performance des opus précédents. L’émotion est comme toujours palpable dans les répliques des différents protagonistes.
She was a true… patriot.
En 1964, alors que la Guerre Froide fait rage entre les Etats-Unis et l’Union Soviétique, un scientifique russe ayant déserté, Sokolov, est enlevé par les agents du KGB et retenu dans la jungle pakistanaise afin de mettre au point une arme qui conférerait à l’URSS une suprématie militaire incontestable. Une jeune recrue des forces spéciales, Naked Snake, est envoyée sur place pour rapatrier le chercheur.
Malheureusement, tout ne se passe pas comme prévu. The Boss, le mentor de Snake, trahit les USA pour passer dans le camp soviétique, récupère Sokolov et blesse gravement Snake. Celui-ci est rapatrié en urgence, après avoir eu un aperçu de l’arme mise au point par Sokolov : le Shagohod. Une semaine plus tard, Snake est de nouveau dépêché sur place. Ses ordres ? Retrouver Sokolov. Neutraliser le Shagohod. Et surtout, éliminer The Boss…
Le jeu, contrairement à l’opus précédent qui offrait une réflexion philosophique extrêmement poussée, propose plutôt un script dans la continuité du premier opus, faisant la part belle à l’émotion et au tragique. Si l’émotion était reléguée au second plan dans Sons of Liberty, elle est au cœur de Snake Eater ; le jeu comporte plusieurs scènes véritablement bouleversantes, sans même parler de la fin qui atteint le paroxysme de l’émotion et qui a fait pleurer nombre de joueurs. Les différents personnages sont marquants, et l’évolution de leurs relations avec Snake est superbement mise en scène : The Boss, EVA, ou encore Ocelot sont des protagonistes au charisme certain qui marquent durablement le joueur. Leurs motivations, leur histoire, leur comportement envers Snake, sont autant d’éléments qui poussent le joueur à s’attacher à eux.
De plus, ce troisième volet se veut plus potache et humoristique que ses prédécesseurs. Entre des conversations Codec franchement grivoises ou des gros plans sur des paires de seins, Kojima s’amuse et amuse le joueur. Snake Eater se veut dans l’ensemble plus distrayant et décalé que Sons of Liberty, qui avait parfois été jugé trop austère par rapport au premier opus. Cependant, les messages sur notre société sont toujours présents : le sens de la guerre, la question du nucléaire, le rôle des soldats et la signification de la patrie sont autant de thèmes traités avec brio dans le titre. Si ce troisième opus est moins intimiste que le deuxième et plus accessible, il n’en demeure pas moins profondément engagé.
C’est l’heure de rendre les copies !
Graphismes : La Playstation 2, alors en fin de vie, signe une performance de qualité avec des textures réalistes, des personnages très bien modélisés et une ambiance équatoriale parfaitement retranscrite, qui immerge le joueur avec brio. La mise en scène est quant à elle plus dynamique qu’à l’accoutumée et les scènes d’action en sont fortement bénéficiaires. De nombreux progrès ont été réalisés depuis Sons of Liberty, et cette réalité saute aux yeux dès les premières minutes.
Jouabilité : Si les innovations proposées sont légion avec un fort accent mis sur la survie, et une infiltration encore plus subtile grâce au camouflage, on regrettera l’absence de radar couplée à une caméra en vue de dessus vieillissante. On s’interrogera également sur l’obligation de naviguer fréquemment dans les menus, ce qui peut hacher la progression.
Durée de vie : A peu de choses près aussi long que ses prédécesseurs, Snake Eater propose moins de contenu annexe que Sons of Liberty (en raison de la quête des Dog Tags présente dans ce dernier) mais garde tout de même un potentiel de rejouabilité correct, avec de nouveaux camouflages et armes à obtenir, un mode Boss Survival et des missions optionnelles sympathiques.
Bande-son : Harry Gregson-Williams nous offre dans cette troisième mouture une bande-son aux accents jazzy très réussie, avec notamment plusieurs thèmes chantés de toute beauté (Snake Eater, Way to Fall, Don’t Be Afraid…) qui correspondent à merveille aux révélations scénaristiques. Les bruitages sont également un point fort du jeu, avec une ambiance sauvage très fidèlement retranscrite. Enfin, le doublage est de grande qualité avec des émotions toujours aussi bien exprimées.
Scénario : Moins alambiqué que celui de Sons of Liberty, le scénario de Snake Eater reste tout de même l’un des meilleurs jamais écrits dans le média. Plus émouvante que par le passé, l’histoire sait réellement faire naître de violentes émotions chez le joueur. Les personnages rencontrés sont pour la plupart véritablement marquants et ont chacun une personnalité très développée ; certains sont même parmi les plus poignants que l’on ait rencontrés dans un jeu vidéo. L’humour est présent de façon non négligeable et contribue à donner un ton un peu plus léger au titre. Cependant, le jeu conserve un aspect engagé avec de nombreux messages sur le thème de la guerre. Bouleversant, marquant, drôle, engagé : que demander de plus à un script d’une telle richesse ?
Conclusion : Metal Gear Solid 3 : Snake Eater est pour beaucoup de joueurs l’aboutissement ultime de la saga. Il est vrai que son gameplay mériterait quelques améliorations ; cependant, l’ensemble du jeu se révèle incroyablement prenant, immersif et bouleversant. Une bande-son de grande qualité, une réalisation encore très correcte, une superbe mise en scène empruntant aux classiques du cinéma et un scénario qui sait émouvoir le joueur aux larmes : Snake Eater sait nous faire vibrer comme peu de jeux le font, et nous entraîne dans une aventure inoubliable.