Il est des jeux vidéo que l’on oublie vite. D’autres que l’on ressort de temps à autre pour une partie impromptue. D’autres sur lesquels on s’attarde car leur univers nous captive. D’autres encore qu’on se remémore avec émotion tant ils sont profonds, envoûtants, et touchants. Mother 3 appartient à cette dernière catégorie.
L’histoire tragique d’une série
Mother 3 est donc le troisième volet de la saga Mother, une saga de RPG créée par Shigesato Itoi. Après Mother et Mother 2 (seul volet sorti hors du Japon, nommé Earthbound aux USA), ce troisième opus connaît un développement chaotique. Prévu sur N64 en 1996, son développement est reporté sur Gamecube, puis annulé en 2001 avant de reprendre deux ans plus tard pour la Game Boy Advance. Le jeu sort en avril 2006 au Japon. Et ne dépassera pas les frontières de l’archipel. « Risques commerciaux », dira Nintendo.
La vérité, c’est que le jeu est sorti au moment de l’arrivée de la DS dans les bacs. Mais celle-ci avait du mal à décoller en Occident, car la GBA se vendait encore très bien. Nintendo a donc appliqué une stratégie simple : tuer la GBA. Plus aucun jeu n’est sorti en Occident, afin de tuer l’intérêt de la GBA. Et voilà pourquoi nous n’avons jamais vu Mother 3. Par pure avarice. Mais il y a pire : Atlus, un studio de développement, proposa aux pontes de Big N de traduire le jeu et de l’exporter, tout cela à leurs propres frais. Contre tout bon sens, la réponse de Nintendo fut sans appel : non.
Voilà pourquoi Mother 3, l’un des jeux les plus beaux de ces dix dernières années, restera à jamais un plaisir illicite, puisque le jeu est en rupture de stock et que le seul moyen d’y jouer est de se procurer une rom. Un grand bravo à Nintendo. Une traduction anglaise non officielle existe ; ce n’est pas mon rôle de vous la fournir ici. Google est votre ami. Mais laissons de côté ce triste exemple de la réalité financière du monde du jeu vidéo pour nous focaliser sur le jeu.
Un champ de tournesols
Mother 3 est un RPG 16 bits en 2D isométrique qui, assez étonnamment quand on connaît le support qu’est la GBA, se révèle très agréable à regarder. L’animation est très fluide, les mimiques des personnages transcrivent à merveille leurs émotions, les effets visuels des combats sont très réussis. Tout comme dans Earthbound, son prédécesseur, les combats se déroulent comme dans un Dragon Quest : vue à la première personne, seuls les ennemis étant affichés à l’écran, et boîte de commande située en haut de l’écran. Les arrière-plans en combat sont psychédéliques et extrêmement colorés (une marque de fabrique de la série), ce qui ajoute à l’atypisme du jeu.
Enfin, les décors sont vraiment surprenants de réalisme. On a du mal à croire que le style cartoon du jeu retranscrit aussi bien un désert brûlant, une métropole grouillante, ou encore un champ de tournesols, ce dernier décor étant d’une beauté et d’une harmonie rarement vues dans un jeu vidéo. Tous ces décors sont un régal pour les yeux, et confèrent une réelle magie au jeu, de même que la bande-son. Mais ça, j’y reviendrai plus tard.
Un RPG aux mécanismes simples mais efficaces
Mother 3 est un RPG classique dans ses mécanismes : voyage de ville en ville, level-up, objets, magies, combats au tour par tour. Le jeu propose cependant une petite subtilité : en appuyant en rythme sur le bouton A lors des combats, vous pouvez déclencher des combos, qui peuvent vous permettre d’enchaîner jusqu’à seize coups ! De plus, vos HP sont affichés par une roulette. Quand vous prenez un coup, vos HP descendent petit à petit, ce qui vous permet d’utiliser un sort de soin même si l’attaque que vous avez reçue vous est fatale. Une subtilité qui facilite le jeu et le rend moins frustrant.
De même, si vous perdez, deux options vous sont proposées : recommencer au dernier point de sauvegarde visité (qui sont ici des grenouilles parlantes), ou recommencer en gardant toute votre expérience et vos objets, avec votre argent diminué de moitié. Ce système intelligent permet de faciliter le jeu et d’éviter de trop longues sessions de level-up.
Pourtant, il faudra bien faire un peu de level-up à certains moments : en effet, certains boss sont trop puissants si vous les combattez simplement après avoir éliminé les autres monstres de la zone. Il faudra gagner deux, trois, quatre niveaux avant d’espérer passer ces boss récalcitrants. Heureusement, la montée de niveau est plutôt rapide et empêche l’ennui de s’installer.
Mais parlons surtout de ce qui rend le gameplay de Mother 3 différent des autres jeux. La saga Mother a toujours privilégié une ambiance contemporaine, aux antipodes de l’ambiance fantasy-médiévale-steampunk typiquement adoptée dans les RPG. Ici donc, point de potions pour se régénérer : vos HP remontent en mangeant du pain, des hamburgers et des frites. On ne se bat pas avec des épées sacrées ni des arcs divins, mais plutôt avec des battes de base-ball et des chaussures !
Bref, si les mécanismes de Mother 3 sont classiques du RPG au tour par tour, son ambiance est très particulière et en captivera plus d’un. Et dire que je n’ai toujours pas abordé le scénario…
Court, mais intense
Le jeu est assez court pour un JRPG : une vingtaine d’heures suffira pour le terminer. Dans ces vingt heures sont incluses les séances de level-up que j’évoquais plus haut, ce qui prouve que Mother 3 n’est vraiment pas un RPG long. Mais croyez-moi, ce sont vingt heures de plaisir, où on se laisse entraîner par une narration incroyable et un univers d’une richesse rare.
Mother 3 est également l’anti-Dragon Quest par excellence : il ne propose aucune, et je dis bien aucune, quête annexe. L’ensemble du jeu est focalisé sur le scénario, sur l’aventure ; il n’y a aucun à-côté scénaristique. Mother 3 n’a pas besoin de quêtes annexes pour étoffer son scénario, Mother 3 dispose déjà d’un script riche et profond. Cette absence de quêtes annexes est-elle une bonne chose ? En tant que joueur habitué à faire toutes les quêtes annexes des RPG auxquels je joue, je dois répondre par l’affirmative. Cet aspect permet de vraiment se laisser happer par l’ambiance de Mother 3. On se fout de récupérer une arme ultime (comme un dernier pied de nez aux conventions du RPG, la meilleure arme du jeu se trouve sur notre chemin, juste avant le boss final), une magie surpuissante, un bouclier qui donne un bonus de 200 en défense, on se soucie juste de savoir ce qui va arriver à nos héros, de savoir si nous pourrons mener cette quête à son terme, si le mal sera enfin vaincu.
Ferme les yeux, et écoute…
Qu’en est-il de la bande-son ? Eh bien, la bande-son de Mother 3 est simplement l’une des plus incroyables que j’aie jamais entendues. Extrêmement riche (près de 250 morceaux !), variée, la bande-son de Mother 3 réussit la remarquable prouesse de coller à chaque situation du jeu. Que ce moment soit émouvant, drôle, angoissant, ou juste dérangeant, la musique sait retranscrire les émotions qui envahissent le joueur à chaque instant. Certaines des musiques de Mother 3 sont même supérieures en qualité à des musiques superbement orchestrées que l’on trouve dans les jeux next-gen d’aujourd’hui, ce qui soulève certaines interrogations quand on songe que Mother 3 est un jeu Game Boy Advance. Je vous cite simplement deux thèmes pour vous rendre bien compte de la qualité musicale qu’offre Mother 3 : « Snowman » et « Like a revolving lantern ». Et par pitié, n’écoutez pas les remix déplorables de SSBB, écoutez les versions originales, qui ont gardé tout leur charme en dépit des limitations techniques de la GBA.
Cette partie est assez courte, mais il serait inutile de décrire plus précisément un aspect du jeu dont on ne peut profiter pleinement qu’en l’expérimentant. Je ne peux pour l’instant que faire de belles phrases en parlant de la bande-son. L’écouter, et surtout l’écouter en jouant, c’est autre chose.
Best. Scénario. Ever.
Tout au long de ce test, je vous ai mis en appétit en vous vantant les mérites du script de Mother 3. Il est temps de s’y plonger en détail. Cette partie contiendra très peu de spoilers, rassurez-vous.
Tout commence quelque part sur les Nowhere Islands, dans le petit village de Tazmily. Un village heureux et paisible, où tout le monde se connaît et où tout le monde s’aime. Mais un soir funeste, un incendie se déclenche dans la forêt, et les animaux deviennent agressifs. Flint, un habitant du village, se rend dans la forêt, et rencontre des drôles de personnages habillés en cochons, les responsables de l’incendie. Sans hésitation, il se lance à leur poursuite…
Ce petit paragraphe représente le début du premier chapitre. Le jeu est ainsi divisé en huit chapitres : les trois premiers servent d’introduction et nous mettent dans la peau de différents personnages, tandis que l’aventure commence réellement au quatrième chapitre, après une ellipse temporelle audacieuse et pourtant magnifiquement exécutée.
En plus des personnages que l’on contrôle ponctuellement dans les trois premiers chapitres, Mother 3 compte quatre héros : Lucas (eh oui, celui de SSBB) est le fils de Flint, un jeune garçon pleurnichard à la recherche de son frère disparu Claus. Kumatora est une jeune princesse qui a des allures de garçon manqué. Duster est un voleur constamment houspillé par son père, connu dans tout le village comme un bon à rien. Enfin, Boney est le chien de Lucas. Un RPG qui vous met aux commandes d’un chien, c’est peu courant !
Pourquoi le script de Mother 3 tient du génie, en trois leçons.
La première raison est l’alternance permanente entre comique et drame. Le jeu, malgré son style cartoon, est à de multiples reprises sombre et dur, n’hésitant pas à évoquer la mort sans aucun détour, ce qui est rare dans un jeu Nintendo. Le premier chapitre notamment comporte un drame majeur, d’autant plus marquant qu’il est totalement inattendu. Malgré cela, Mother 3 compte des passages drolatiques, qui vous arracheront des larmes de rire tant ils sont à-propos et totalement exagérés. Le jeu monte ainsi crescendo en intensité mais sans se départir de son humour, jusqu’au combat final, moment incroyable chargé de tant tristesse et d’émotion qu’il en devient difficile à supporter.
La deuxième raison est la personnalité des personnages rencontrés. Très loin du PNJ lambda des RPG lambda, les personnages auxquels vous ferez face sont, dans leur grande majorité, marquants. Certains d’entre eux donnent lieu à des séquences chargées d’émotion, d’autres se montrent héroïques, d’autres encore sont à mourir de rire, et certains sont haïssables. Cela est d’autant plus vrai pour les personnages principaux, et notamment le principal antagoniste du jeu. Sans vous spoiler, sachez que ce personnage est vraiment le mal pur, sans remords aucun et sans pitié aucune, et la fin qu’il connaîtra est très dérangeante. Je ne vois que très peu de méchants de jeu vidéo qui tiennent la comparaison face à lui.
La troisième et dernière raison est la satire omniprésente dans ce jeu. En plus du scénario riche et touchant que possède le jeu, plusieurs attaques transparaissent à travers les situations rencontrées. Pêle-mêle, voici quelques-uns des thèmes abordés, et critiqués : l’argent, la société de consommation, le pouvoir des médias, ou encore la religion. Mais Itoi, montrant encore une fois son génie, sait diffuser ces critiques en filigrane, sans s’appesantir dessus, et sans même avoir l’air d’en parler.
Vous aurez donc compris que Mother 3 offre un script d’une profondeur et d’une finesse peu communes. Ce jeu dépasse le simple cadre du jeu, pour devenir une réflexion sur notre monde, une histoire envoûtante, bref, une œuvre d’art. Oui, le mot est lâché.
Je n’aurai qu’un seul regret sur le scénario : si vous avez joué à Earthbound (Mother 2), alors l’identité du méchant principal vous sera très vite connue. Mais c’est bien le seul défaut auquel je puisse penser.
C’est l’heure de rendre les copies !
Graphismes : Pour de la GBA, c’est extrêmement correct et même parfois beau. L’animation est fluide, les décors sont emplis de vie. Une excellente réalisation 16 bits, dans un style cartoon très réussi.
Jouabilité : Un RPG classique au tour par tour, voilà ce qu’est Mother 3 en termes de gameplay. Doté d’une ambiance très particulière, le jeu est très agréable à jouer et simple à prendre en main.
Durée de vie : Plutôt court pour un RPG, Mother 3 se finit en une petite vingtaine d’heures, et ne compte (heureusement ?) aucune quête annexe. Cependant, le plaisir éprouvé est tel qu’on ne peut pas blâmer le jeu sur ce point.
Bande-son : Magnifique. Superbement réalisée, collant à chaque instant à l’action, recelant son lot de thèmes inoubliables, l’OST de Mother 3 reste, à mon sens, la meilleure OST jamais conçue.
Scénario : Riche, satirique, émouvant, drôle, profond, intelligent, le scénario de Mother 3 n’a aucun équivalent. Il traite de thèmes extrêmement variés avec une maestria étonnante. Parfois comique, souvent grave, Mother 3 saura vous captiver dans les méandres de son univers, et vous en ressortirez bouleversé.
Conclusion : Mother 3 est un jeu incroyable. Dès qu’on le commence, on ne souhaite plus qu’il s’arrête. Hormis les séquences intempestives de level-up qui nous rappellent qu’il ne s’agit que d’un jeu vidéo, l’ensemble du jeu est inégalable. Itoi donna un slogan au jeu : « Strange, funny, and heartrending », ce qui se traduirait par « Etrange, drôle et poignant », et qui résume parfaitement ce qu’est Mother 3.
je conaissai pas ce jeu jusqu’à la découverte d’une Game boy micro edition mother….Mais il ressemble à quoi ce jeu????
Merci kiko pour ce test qui me donne envie d’essayer à mon tour
A quoi ressemble-t-il ? Si tu me demandes de le comparer à un autre jeu, je dirais que c’est plus ou moins un jeu unique qu’on ne peut pas vraiment rapprocher d’un autre. Il est d’ailleurs comparable (je sais que c’est paradoxal) à Shenmue de ce point de vue.
Pour résumer le test, c’est un RPG à l’ancienne (style Dragon Quest) avec des mécaniques transposées dans un univers contemporain, une OST absolument magique qui est presque incroyable quand on pense que c’est de la GBA et l’un des meilleurs scripts que j’aie vécu de ma vie de joueur. Drôle, profond, déchirant, mature, complexe, tous les superlatifs ne suffiraient pas à résumer le génie du scénario de Mother 3.
Mais tout ça c’est des belles phrases. Y jouer, c’est tout autre chose.